un sticker de l'association à la criée [nantes- rezé], une association totalement à l'ouest, format carré 100 mm, tirage 4000 exemplaires, clin d'oeil et accélérateur à particules de nos pratiques indigènes ou exotiques, invitation à découvrir à la criée, association dédiée voix - écriture - littérature - édition - farce - géographie - beauté - politique

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Camarades et ami-e-s du genre humain .../...

Vous avez eu la curiosité de saisir le lien porté à droite [...] de l'autocollant SUD-AVIATION POUR LA LIBERTE DU TRAVAIL. Une archive de mai 68 à Bouguenais, banlieue rouge et verte de Loire-Inférieure, une drôlerie de plus en plus belle à mesure de son actualité infinie. François le Madec la rapporte dans sa chronique d'une usine occupée, Sud-Aviation Nantes, 1968 : L'aubépine de mai.

Chez "Moustache"

La nouvelle se répand comme une traînée de poudre : la direction organise à la mairie de "Moustache" une consultation "bidon" sur les propositions de la direction générale. Une manoeuvre type "grand style démocratique" cherchant à casser le mouvement en essayant de doubler les syndicats. Le terrain choisi par la direction pour cette consultation est la mairie de Bouguenais, commune où se trouve située l'usine. Monsieur le Maire porte alors de grandes et fines moustaches style Second Empire : ses administrés, souvent irrespectueux, l'appellent familièrement "Moustache".

La veille, la direction avait fait paraître dans la presse un communiqué invitant le personnel de l'entreprise à participer au vote qu'elle organise le 11 juin de 10 h à 16 h à la mairie de Bouguenais. Mais ce comuniqué avait été quelque peu négligé dans la vie courante du camp, car les tâches ne manquaient pas.

Dès la nouvelle connue que la direction persiste et met en pratique ses intentions, le branle-bas général est sonné dans les postes. On se précipite aux voitures et aux mobylettes, qui démarrent dans une pétarade générale. La contre-manifestation s'organise spontanément et fond sur les lieux de la consultation organisée par la direction. C'est une arrivée trépidante devant la coquette mairie de Bouguenais. Les voitures éjectent leurs équipes de "bleus" qui se répandent sur la route et la petite place de la mairie. Mais il y a déjà là, en guise de comité d'accueil, tout le comité des jaunes, environ deux cents, qui n'en demandait pas tant.

En tenue de "pékins" - cravatés, bien soignés - ils sont venus voter et apporter leur soutien courageux à la direction. Leur tenue de ville contraste avec les bleus de combat des grévistes. Ca forme rapidement une foule bigarrée où le bleu de l'unité ressort : impossible de s'y tromper.

C'est l'heure de la récréation à l'école d'à-côté. Les élèves perchés sur le mur d'en face ne perdent pas une bouchée du spectacle, leurs yeux écarquillés et déjà avertis, semble-t-il, fouillent la foule et s'amusent à un nouveau jeu cruel pour ces enfants précoces qui consistent à distinguer les "jaunes " des grévistes en les repérant à leur tenue vestimentaire. Les exclamations bruyantes ponctuent leurs recherches. Leurs petites blouses colorées forment un ruban vivant sur la crête du mur. Ils font diversion et apportent un peu de fraîcheur enfantine dans ce tumulte où les parents s'expliquent.

A l'intérieur de la mairie, le petit scénario monté par la direction peine à voir le jour. Une parodie de consultation démocratique malgré tout s'amorce. Une petite queue de "civils" aux visages crispés se forme péniblement à travers la haie des bleus qui obstrue l'entrée de la salle de vote.

Chaque groupe s'efforce de bien remplir ses devoirs électoraux ou militants. On aperçoit à travers les vitres, trônant sur une petite table et assez singulièrement en relief dans la salle vide de tout meuble, l'urne de la "compromission". Les premiers votants passent, recueillant au passage, par quelques signes familiers et complices, la bénédiction des représentants de la direction. Tous n'auront pas cet honneur de paraître en cour, car peu à peu des groupes de grévistes, délégués en tête, s'infiltrent dans l'Hôtel de Ville. C'est le commencement de l'empoignade entre les deux groupes, mais les échanges se limiteront toutefois à de dures engueulades. Pas de coups, mais il devient évident de minute en minute que le "coup de la participation" électoraliste de la direction est foutu. Les membres du bureau de vote voient d'un oeil inquiet et désabusé la situation se dégrader. On les sent ne sachant plus que faire. Dehors, c'est le forum : une petite fourmillière en discussion. Des groupes se sont formés entre civils et contre-manifestants. Les jaunes essuient un bon savon ... Il leur est distribué aussi un petit papier qui fait appel à leur logique.

[voir sticker]

Quelques jaunes signent ... La récréation est terminée pour les écoliers d'en face, le cours d'initiation à la vie sociale aussi, les enfants ont abandonné leurs observatoires pour rouvrir d'autres manuels plus tranquilles d'Histoire classique ...

Pendant ce temps, la mairie a changé de mains. Les grévistes sont partout dans la place : un petit drapeau rouge flotte joyeusement sur la mairie aux vents de la Victoire. Dans la salle de vote, un dernier carré de "démocrates" assiste impuissant et contrit au petit Waterloo de la direction. Le patron du terrain "neutre", Monsieur le Maire, en homme politique avisé, devient diplomate et s'évertue à mettre fin à une situation qui ne débouche sur rien. Il prend la décision de stopper les opérations. Il sort de la salle de vote et grimpe sur une murette pour s'adresser au peuple ouvrier. Celui-ci regarde un instant, avec curiosité, le maire-fermier. Sa silhouette maigre d'ex-député conservateur a une figure d'honnête Vieille France. Une note étrange et désuète dans ce concert de banlieue populaire ! On connaît à l'avance ce que va dire la Vieille France mais on l'écoute poliment : "devant les conditions dans lesquelles se déroule le vote, je crois préférable, dans l'intérêt des deux parties, d'arrêter la consultation en cours".

C'est un cri général ; "Vive Moustache ! Vive Monsieur le Maire !"' L'Internationale de la Victoire est reprise en choeur par l'assistance, seuls les "pour le boulot" demeurent muets et tristes.

Ce n'est pas tout à fait fini ; il faut encore conclure l'opération en réglant quelques dernières modalités pratiques. Le maire rentre dans sa mairie accompagné par des délégués et des non-délégués. On boucle les portes pour être tranquille et régler les dernières touches de la comédie électoraliste. Les travailleurs exigent que l'on efface toutes les traces du mauvais coup monté par la direction. L'urne va être ouverte et les quelques bulletins qui s'y trouvent détruits. On cherche un moment la clef égarée dans la confusion. Monsieur le Maire mène les opérations. La boîte ouverte, quelqu'un prend le petit nombre de bulletins qui s'y trouvent pour les réduire en cendres. Exécuteur des basses oeuvres, il les brûle dans un lavabo sous l'oeil satisfait et ironique des manifestants et des délégués. C'est un enterrement de première classe pour la direction qui voit ses tentatives d'usurpation de pouvoir réduites à néant .

On se sépare sur ces cendres chaudes... Un délégué monte sur la murette qui venait de servir de piédestal au maire et déclare très brièvement : "Camarades, c'est nous qui faison la grève et c'est nous - pas les jaunes et pas le direction - qui déciderons d'une quelconque consultation sur la reprise du travail".

[extrait pages 125 à 129]

On pourra se procurer ce très beau récit de François le Madec au Centre d'histoire du travail de Nantes installé à côté de la Maison des hommes et des techniques dans l'ancien bâtiment de direction des Chantiers Navals de Nantes. Merci à eux, merci à François le Madec [RIP].

Quatrième de couverture

Lorsque, le 14 mai 1968, après un conflit déjà long, les ouvriers de Sud-Aviation de Bouguenais (près de Nantes) occupent leur usine et séquestrent leur directeur, la crise prend alors un nouveau visage. D'une agitation étudiante naît un mouvement de grève générale comme la France n'en a jamais connu depuis. C'est la chronique de cette occupation d'usine que François Le Madec, alors ajusteur à Sud-Aviation, raconte dans ce document écrit à "chaud" au cours de l'été 1968. Cet ouvrage a été publié à l'occasion du vingtième anniversaire du mouvement de Mai 68, célébration qui avait donné lieu à une exposition et à la réalisation d'un film documentaire par le CHT : Images de Mai. 1988, 8 € (+ 1,90 € de port) ISBN : 2-9502872-0-4.